Regard que peuvent avoir sur l’adoption les familles éthiopiennes ayant confié leur enfant,
ou comment ces familles comprennent l’adoption.
Je vais tenter de vous expliquer l’origine de cette réflexion.
Notre démarche d’adoption a été une volonté d’adopter des enfants grands, et ils sont arrivés à 7 ans, ils avaient donc une histoire et nous étions convaincus qu’il faudrait prendre en compte cette histoire et qu’il était inadmissible de la rayer de la carte de leur vie.
De ce constat est né pour moi cet intérêt au sujet de la place des parents biologiques dans leur histoire et donc dans la nôtre.
Pendant plusieurs années, nous avons reçu beaucoup de couples dans le cadre de la journée de préparation au début de leur parcours et nous avons toujours eu ce discours de dire que nous parents adoptifs, quel que soit l’histoire de nos enfants, nous étions un relais, des parents avant nous avaient conçu nos enfants puis selon chaque histoire, les ont élevés, ont pu les aimer, et cela plus ou moins brièvement.
A un moment de la vie de nos enfants, arrivée cette mise en adoption et tous certainement, nous nous sommes posés cette question, pourquoi, pour quelles raisons ?
Nous pouvons parfois les connaître par le dossier des enfants, mais en Éthiopie les dossiers sont très succincts en comparaison avec le Burkina Faso.
Il y a 4 ans en 2017 nous avons fait notre voyage retour en Éthiopie et depuis je suis repartie deux fois avec ma fille dans notre famille.
Je vais donc aborder ce que j’ai pu constater à chaque voyage.
Je tiens à dire que ce n’est pas une constatation générale, je ne souhaite pas en faire une généralité, mais je ne suis pas la seule à l’avoir constaté, et sans doute d’autres l’ont perçu aussi…
C’est un constat que j’ai pu faire sur Bahir Dar.
Au cours de ces voyages d’environ 15 jours, je suis souvent abordée chez la maman biologique de notre fille, au cœur du quartier Abbay Mado à Bahir Dar, par des mamans qui viennent me voir avec une photo, un nom, elles me demandent des nouvelles parce qu’elles n’en ont plus, elles ont pu en avoir mais cela a cessé ou bien elles n’en ont jamais eu.
Ce que cherchent ces mères c’est somme toute assez simple et compréhensif :
- savoir si leur enfant est en vie, vivant
- s’il est en bonne santé
- s’il est heureux, scolarisé
Voilà tout simplement.
Alors je discute avec elles,
- je leur demande si elles savent où est l’enfant France ? Ailleurs ?
- a-t-il été adopté par ERM ?
- et ensuite je tente d’expliquer, et c’est cela le plus compliqué à comprendre pour elles, que je ne suis pas habilitée à donner des nouvelles, que je n’ai pas le droit de donner des nouvelles si l’enfant est mineur sans l’accord des parents, et que s’il est majeur, il faut aussi son accord et, s’il ne le souhaite pas, c’est impossible et cela est impossible à comprendre pour elles, que leur propre enfant ne veuille pas donner de nouvelles…
Je leur fais cette promesse à chaque fois que je vais essayer, mais je ne promets rien parce que je ne peux rien promettre…
Mais je vois toujours dans leurs yeux, une lueur d’espoir.
J’ai donc tenté souvent de discuter avec elles pour savoir comment elles ont compris l’adoption et je vais peut-être vous surprendre ou pas …
Je pense que la plupart n’ont pas compris ce qu’est l’adoption.
Elles ont confié leurs enfants à un moment de leur vie où l’espoir de les élever n’était plus là, manques de moyens, la maladie, le décès du père, des parents.
Elles ont confié leur enfant en espérant le revoir un jour,
Et cela aussi parce que cette pratique est courante dans diverses sociétés africaines, on confie un enfant à un membre de la grande famille parce que à ce moment-là, on ne peut pas l’élever, mais cet enfant forcément on le revoie un jour…
Voilà le désarroi actuel de beaucoup de familles.
Ces rencontres sont toujours très fortes émotionnellement.
De voir des familles françaises qui reviennent, c’est une grande source d’espoir pour beaucoup de mères, de familles, car elles se disent moi aussi mon enfant va peut-être revenir …
Et quand cet enfant revient de plus avec sa famille, c’est le bonheur.
Car c’est ce que beaucoup de familles éthiopiennes espèrent !
J’ai souvent des appels de famille ou de jeunes qui désirent repartir et ce sont toujours des moments très forts pour moi. Je me souviens il y a quelques mois, d’une jeune fille qui se souvient de ses tantes et elle m’a dit elles ne doivent plus se rappeler de moi.
Je lui ai dit : détrompe-toi !
Quand un enfant est parti, cela fait partie de l’Histoire familiale et du quartier ou du village et tout le monde le sait et s’en souvient.
Et donc quand un enfant revient, il est accueilli par l’ensemble de la famille et de la communauté.
Les familles, lors du départ ne cherchent pas à retenir l’enfant, elles comprennent que sa vie est ailleurs maintenant, elles respectent cela, comme dans bien des cas elles ne cherchent pas à soutirer de l’argent, à profiter.
Je voudrais juste terminer par un témoignage plus personnel, car ils nous concernent, c’est aussi pour vous expliquer que l’adoption d’un enfant va créer un manque et une détresse pour le parent mais aussi pour ceux qu’on oublie souvent, les frères et sœurs, (car on ne leur demande pas leur avis et du jour au lendemain, leur frère ou sœur disparaisse sans aucune explication parfois…)
Et cela je ne l’avais pas perçu avant d’y être directement confronté …
Je vous le disais nous sommes partis il y a 4 ans, retrouvailles incroyables entre notre fille et ses parents mais surtout entre elle et son grand frère biologique.
En 2018, 9 mois plus tard si nous sommes retournées elle et moi, c’était pour passer du temps exclusivement en famille à la demande de notre fille. Là j’ai créé un lien particulier avec son frère, il m’a confié certaines choses très fortes, notamment la façon dont il a vécu l’absence de sa sœur pendant ces 8 ans, la période la plus difficile de sa vie où il a prié chaque jour chaque nuit pour sa sœur, pour qu’elle soit en bonne santé et heureuse.
Il n’imaginait pas la revoir un jour, il m’a expliqué qu’il n’avait pas compris, il pensait qu’elle était dans une famille qui lui permettait d’avoir une scolarité et de l’éducation, mais il n’imaginait pas qu’on puisse tout simplement l’aimer et la considérer comme notre fille.
Juste pour conclure notre histoire, devant leur lien extraordinaire, nous avons souhaité faire quelque chose, et nous avons adopté Habtamu, 29 ans à ce moment en août 2019 après 1 an de démarche.
Nous souhaitions tout simplement recréer de façon officielle ce lien fraternel et fusionnel entre eux et intégrer Habtamu à sa juste place dans notre famille.
Il est ainsi devenu notre troisième enfant !
Valérie Rémande
Intervention lors de l’Assemblée Générale ERM 2019.