Quand je lis les propos de Julie Foulon dans son livre comme dans les articles qui lui sont consacrés, je perçois clairement qu’elle essaye de trouver une issue à la violence qu’elle a traversée. Son histoire comme celle de beaucoup d’autres jeunes adoptées n’est pas simple, ni banale. Comment donner du sens à ce qui n’en a pas : l’impossibilité pour un pays pauvre de nourrir et de protéger ses enfants, l’abandon d’une mère en détresse…..
Cette violence de la misère habite l’humanité et nous avons à la combattre. Depuis toujours des familles élèvent et adoptent les enfants des autres pour leur permettre de survivre. Et parfois le plus difficile pour un enfant ainsi malmené est de se laisser aimer à nouveau, comme pour tromper cette violence déshumanisante et gagner ainsi de vivre le mieux possible avec ses proches. On a cru qu’il suffisait d’aimer et d’avoir de bons sentiments réciproques pour se laisser apprivoiser. Mais ce qui attend les enfants adoptés et les familles adoptantes est un vrai travail psychique patient, fragile, toujours sur la crête d’une pente de rupture avec le seul désir de se choisir et de se découvrir chaque jour. La joie profonde de la reconnaissance dans le lien adoptif est heureusement souvent au rendez-vous.
Or cette violence conduit parfois à des impasses relationnelles très aliénantes si le travail psychique est refusé ou trop douloureux. Comment vivre avec l’idée de l’abandon, comment reprendre confiance en soi-même ou dans les autres ? Il faut un responsable, il faut prouver la machination et nourrir le complotisme, il faut trouver une issue à cette pulsion intérieure déstructurant l’identité. On la retourne contre soi, contre ses proches, contre les institutions. Et cette aliénation peut devenir très difficile à gérer car elle conduit aux mensonges, aux clivages et à l’impossibilité de créer des relations en vérité sans forcément en avoir conscience. Ces impasses créent à nouveau de la violence sans permettre à la parole de se libérer en l’enfermant dans des représentations figées.
Julie semble bien prise dans cette construction aliénante en cherchant la vérité de son histoire. Il n’y a pas de responsable à la violence qu’elle a subie : ni sa mère, ni le
gouvernement éthiopien, ni ses parents adoptifs, ni l’association ERM dont le seul objectif a toujours été de favoriser un avenir pour les enfants laissés à l’adoption. Elle porte plainte contre l’association sur des vérités sans cesse remaniées et interprétées à partir du trouble qui l’habite pour exprimer sa souffrance. Mais le mensonge et la violence ne servent pas le bonheur qu’elle cherche. Comment comprendre l’utilisation de ses propos par des journalistes en quête de scandales à publier loin des échanges de paroles vraies dont nous avons tous besoin, Julie comme chacun de nous, pour comprendre les enjeux de l’adoption hier et aujourd’hui. Il nous faut continuer à lutter ensemble contre la violence née de l’abandon…
Docteur Marie-Pierre Labrosse
De la violence de l’abandon
Cet article a 3 commentaires
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Merci d’exprimer si clairement ce que nous sommes nombreux à ressentir.
Un Papa, une Maman, il n’y a pas mieux pour un enfant.
Dans le cas de l’adoption, il y a deux Papas et deux Mamans : ce n’est ni naturel, ni facile mais il nous faut vivre avec.
Un jour mon petit frère adoptif a dit à Maman : « j’ai de la chance car j’ai trois Mamans : toi, ma Maman du Viêt-Nam et Marie, ma Maman du Ciel ».
Je confirme, son commentaire est exact et bien expliqué bravo et encore merci
Je trouve ce commentaire tellement juste et parfaitement bien écrit. Bravo Dr Marie- Pierre Labrosse 👍